A comme… Accostage
Par Frédéric Sos - 4 mai 2021

"Le fonctionnement de cette entreprise repose sur trop peu d'épaules"

Le Directeur Général de ce groupe de communication n'avait pas ménagé ses efforts ces deux dernières années. Membre de l'équipe dirigeante, il en avait repris la direction après la prise de distance opérationnelle du Président. Une opération importante de croissance externe et une dynamique de transformation, notamment liée aux enjeux de digitalisation, avaient profondément modifié la physionomie du Groupe et de son équipe dirigeante, durant cette période. Au moment où il se préparait à enclencher une nouvelle phase ambitieuse du développement de l'entreprise, lui qui se montrait d'ordinaire si dynamique et offensif, m'avoua une certaine lassitude : "je me rends compte que le fonctionnement de cette entreprise repose sur trop peu d'épaules !"

Comment embarquer le plus grand nombre, et à minima les acteurs clés de l'entreprise, demeure assurément une des problématiques les plus critiques au sein des organisations, et donc, une des préoccupations les plus investie au sein de l'équipe de direction.
Dans leur fonctionnement, les membres de l'équipe dirigeante fournissent parfois un modèle bien peu démonstratif de la "capacité à embarquer" : jeux politiques, intérêts périmétriques irréconciliables, guerres d'égo,… alimentent des attitudes défensives et clivantes à tous les niveaux de l'organisation. Comment embarquer le plus grand nombre et favoriser des accostages de qualité entre les différentes entités et les différents acteurs alors même que les divergences entre les membres de l'équipe de direction diffusent en interne ?

Paradoxalement, la qualité de fonctionnement au sein de l'équipe et la connivence entre ses membres n'apparaît pas non plus comme un levier garantissant la mobilisation du plus grand nombre. Dans le cas qui nous intéresse, l'équipe de direction avait particulièrement soigné la qualité de son fonctionnement ; le débat était particulièrement efficace et productif et une réelle connivence entre ses membres avait émergé. Pourtant, et sur ce point l'analyse du DG était juste, dans cette entreprise dont l'effectif approchait les 3 000 personnes, l'engagement opérationnel, la dynamique entrepreneuriale et le barycentre des décisions étaient nettement centrés au plus haut niveau de l'organisation.

L'enquête sociale mise en place confirma les éléments suivants :

  • la qualité de fonctionnement et des relations entre les membres de l'équipe de direction était perçue, mais elle avait favorisé une prise de distance avec leurs collaborateurs directs qui, ne trouvant pas de place dans la dynamique de "ceux qui faisaient tourner la baraque", s'étaient recentrés sur leur propre périmètre fonctionnel,

  • pire, le modèle le plus valorisé était celui du manager d'entité, superwoman ou superman hyper engagé(e), déconnecté(e) de ses pairs, concentrant toutes les responsabilités et laissant à ses collaborateurs le rôle de "porteur d'eau"…

Capitalisant sur la dynamique collective de l'équipe de direction, le dirigeant la mobilisa alors sur la formalisation d'une projection explicitant ce qu'ils voulaient faire de cette entreprise à une échéance de 5 années. Le critère retenu pour vérifier le niveau auquel les équipes étaient effectivement "embarquées" fut la capacité pour chacun des acteurs à expliciter sa contribution individuelle à la concrétisation de cette ambition. En pratique, ce critère ne fut vérifié qu'auprès des 180 personnes composant les niveaux N-1 et N-2 par rapport au CoDir, à l'issue de la mise en œuvre d'un dispositif d'accompagnement.

Les 3 leviers d'actions privilégiés durant ce travail furent les suivants :

  • la déclinaison de la contribution à la réussite de l'ambition prit la forme de 2 ou 3 engagements de résultats, des responsabilités spécifiques reposant sur la clarification d'indicateurs de réussite explicites. La tension créée (avec souvent comme corollaire une certaine anxiété) a été gérée par la formulation d'attentes sollicitant des contributeurs clés, dont l'apport était perçu comme indispensable à l'atteinte des résultats attendus. Cette mobilisation de contributeurs clés dépassait largement les périmètres fonctionnels et, dans une certaine mesure, les positions hiérarchiques ; elle a largement stimulé…

  • …des accostages entre les différents services, prenant la forme de projets communs et visant la concrétisation d'une partie de l'Ambition. Les exigences réciproques associées, probablement parce qu'elles fédéraient les énergies au service d'une ambition commune ont favorisé l'émulation et la complicité. Enfin,

  • la proximité de contact avec l'équipe de direction a été encouragée, rompant ainsi avec une certaine distance, dont une illustration emblématique étaient sa "sanctuarisation" au dernier étage du Siège dans une aile "réservée".

Le niveau des résultats obtenus doit très probablement à la réussite de la mise en tension des équipes sur une ambition commune, mise en tension nourrie par des exigences réciproques qui ont bien souvent nécessité des prises de risques et le dépassement de zones de maîtrise ; l'explicitation d'attendus de résultats et la qualité des accostages ayant éloigné le risque de mise sous pression. Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur la différence entre "mise sous pression" délétère et "mise en tension" vertueuse.